samedi 17 avril 2010

le père du marié


on est en 2002. ma vie est en mouvement.

je me découvre peu à peu. le terme découvrir n'est d'ailleurs pas juste. disons plutôt que je m'accepte davantage. Il y a quelques mois, j'ai fait mon coming out auprès de ma mère, puis plus tard de mon père. comme des anges, ils se sont chargés de faire circuler la bonne parole dans le reste de la famille ...

Je fréquente un garçon depuis quelques jours. Il s'appelle JC et si j'ai déjà eu des expériences précédemment, c'est le premier pour qui je ressens quelque chose. les papillons dans le ventre, le tzatzatzu sexandthecityien, le feeling, appelez ça comme vous voulez.

je l'ai rencontré en boite Gay. On s'est vu, on s'est plu. l'histoire a commencé aussi simplement que ça. En rentrant de cette soirée, je reçois un sms de sa part "j'ai passé un très agréable moment avec toi. j'espère te revoir vite. je t'embrasse. JC". je me regarde dans la glace, et me pose la question: serais-je alors capable de plaire ? un fin sourire nait sur mon visage, je continue de m'observer, puis me rappelant Narcisse, j'éteins et vais me coucher, le coeur léger.

On se rappelle, et on se fixe un rendez-vous le lendemain soir dans un bar gay friendly. Tout en apprenant les codes et rudiments d'une relation suivie, je découvre aussi les endroits gay.
J'arrive le coeur battant, il est là, souriant. il semble à l'aise. j'essaie de lui faire croire que je le suis. Je tiens fermement mon verre pour ne pas qu'il soupçonne que mes mains tremblent, je réprime certains soupirs qui trahiraient mon stress, j'essaie de fixer mon regard sur le sien. Mais je me laisse aussi aller à ce sentiment de plénitude. Je me sens bien dans son regard, je me sens désiré, je me sens beau. Et je sens aussi que je deviens accro à ce sentiment ...
on discute, on apprend à se connaître. A un moment, il se penche vers moi, et sous la table, me caresse le mollet. Je tressaille, comme sous un choc électrique, il sourit de ma réaction et ça me rassure. Ses lèvres sont une tentation permanente, mais nous sommes dans un bar, et je ne peux pas l'embrasser ici. Au bout de quelques heures, il me raccompagne à ma voiture.
Elle est garée dans un petit parking désert. il est 23 h 30, aucune lumière aux balcons ou fenêtres des bâtiments, pas un chat, pas un passant. sans doute un excès de films ou de séries américaines, mais je l'embrasse fougueusement au moment de lui dire au revoir.
Je franchis les quelques mètres qui me séparent de ma voiture, en apesanteur. le bonheur me porte, et danse sur mon sourire.
Mais en enfonçant la clé dans la serrure, j'entends une voix rauque et agressive qui vient trouer le silence de cette nuit si douce et déchirer le voile de bien être dont je me suis drapé. je ne comprends pas les paroles, mais je vois que l'homme qui les prononce, la cinquantaine trapue et massive, les adresse à JC. Pire, il commence à le pousser.
Je m'approche d'eux, mais JC se retourne et m'ordonne de partir tout de suite. J'hésite. Je ne vais pas le laisser avec ce type. Mais j'ai bien senti dans le regard de JC que l'ordre n'était pas discutable. D'ailleurs, ce n'était plus un ordre, mais une supplique. Je n'ai pas encore compris que l'homme en question est le père de JC. J'apprendrai plus tard qu'il nous a suivis, qu'il a attendu patiemment 3 heures que nous sortions du bar ... Je ne comprends pas et ne m'enfuis pas suffisamment vite.
Première erreur.
Il fond déjà sur moi. J'ai tout de même le temps d'ouvrir ma voiture, mais pas de m'y engouffrer. Il a attrapé une touffe de mes cheveux et me réexpulse à l'extérieur de cette voiture qui devient très vite mon seul abri. Je me retrouve à même le sol. Il me donne un premier coup de pied qui m'atteint dans la jambe. je serre les dents, mais inconsciemment, je ne lui fais pas le plaisir de crier. et surtout, je ne lâche pas mes clef de voiture. malgré la panique, la peur qui maintenant me vrille le ventre, je comprends que ces clef sont devenues mon seul recours pour me sortir de cette situation. Un coup de poing vient s'abattre sur mon épaule. Je ne sais plus ce qui est le pire: la douleur qui commence à se diffuser dans différentes parties de mon corps, cette voix rauque, où perce la souffrance d'un père qui soupçonnait et qui a maintenant confirmation, m'agonisant d'insultes, ou ma propre honte d'être là, à terre, pour avoir enfreint les règles de la société.
JC s'interpose, et repousse son père. J'ai tout juste le temps de m'engouffrer une bonne fois dans la voiture. Déjà un poing vient s'abattre contre la vitre. Je m'enferme alors qu'il tente d'ouvrir la portière. Sa colère monte. Tandis que les insultes se font encore plus fortes, je tâtonne pour enfoncer les clefs dans le contact. Je démarre enfin, et un dernier coup de pied vient enfoncer la portière arrière de la voiture, trace indélébile de ma honte et de cette nuit où je suis passé en une fraction de seconde du bonheur le plus doux au cauchemar le plus effroyable.
en rentrant, un bus klaxonne et me fait des appels de phare. Je réalise que je roule depuis 10 minutes sans avoir allumé les miens.
Evidemment, je ne dors pas. Je reste des heures dans le noir, les genoux contre ma poitrine, groggy. le portable vibre, et je lis un message de JC: "je suis désolé. maintenant, je suis libre mais sans toit". Une vague de culpabilité m'assaille à nouveau. je tente de le rappeler pour lui proposer de l'héberger. il ne répond pas.
et ne donnera pas signe de vie pendant une semaine.
Je saurai finalement qu'il a logé chez une amie, que ses parents ont accepté qu'il reviennent à condition qu'il voit un psy "pour soigner sa maladie."
Nous essaierons de continuer notre histoire, mais ça ne fonctionnera pas.

J'apprendrai cependant de ma première histoire amoureuse que les gestes de tendresse, si fréquents qu'ils en deviennent clichés, peuvent être dangereux voire mortels pour la population homosexuelle ...

6 commentaires:

  1. ... une réelle biogaphie ou sénario fiction ?!
    Dans tout les cas, trés choquant à lire également car d'une réelle violence ! certaines choses dans la vie peuvent marquer, inconsciement aussi. difficile de sortir indemne de ce genre de scène...

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  2. à CSQ: aucune fiction, tout a été vécu. à chaque fois que je repasse devant ce petit parking, mon ventre se serre.

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  3. je veux bien te croire ! ce genre d'histoire doit laisser des traces; même pour le gars que tu venais de rencontrer je suppose. Certe la réaction de certains parents reste imprévisible et regrétable... par eux même d'ailleurs une fois le coup de sang passé. Mais ça fait aussi parti de la vie et du moment qu'avec les tiens le coming out se soit bien passé, c'est l'essentiel.

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  4. Mon pauvre ! Subir un tel séisme alors que tu commences ton travail d'acceptation de soi, je n'ose imaginer dans quel état tu te trouves. J'espère que tu seras rapidement d'aplomb, prêt à repartir, et à rencontrer un garçon dans les bras duquel les gestes de tendresses n'auront d'autre conséquence que ton bonheur immédiat.

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  5. A Tambour Major: je te rassure, cette histoire m'est arrivée en 2002. Je dis pas que j'en suis sorti complètement indemne mais aujourd'hui le choc est passé. si j'ai choisi d'en parler, c'est en réaction à l'agression homophobe de 2 niçois. ça n'arrive pas qu'aux autres ...

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  6. Dès le début de la lecture du texte, on sent que la cata va arriver et ça arrive inéluctablement ce qui prouve ton talent d’écritures, on se met dans ta peau tout en restant lucide … Sur le fond, il n’y a pas grand-chose à dire tellement la bêtise humaine affligeante, et il y a tant de chose à te dire tant ç’est émouvant. Ça t’a sûrement marqué, mais tu as fait du chemin et même si il aurait mieux valu que ça ne t’arrive pas, ça t’a rendu plus fort … Est ce que plus tard tu as eu des nouvelles de JC ? (carrément plus tard, tu sais ce qu’il fait now ?)

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