lundi 18 janvier 2010

nouvelle star ?

cette année, j'ai été désigné d'office membre du jury pour les oraux des stages en entreprise de 3°. N'y voyez aucune promotion sociale ni aucun favoritisme: ils manquaient de volontaires, c'est tout. Et que ce soit clair, c'était pas palpitant.
Situons: il s'agit la plupart du temps de leur premier oral. L'enjeu pour eux est de rendre compte (de façon vivante ? euh, non, ça ne fait pas partie des critères apparemment) de leur première expérience du monde du travail. Ils ont donc cherché un stage auparavant.
rectifions: maman ou papa a demandé à son patron, collègue, ami, relation s'il pouvait prendre son rejeton pendant quelques jours. Papa / maman a écumé tout son entourage et a vanté son poulain : "je t'assure, il t'embêtera pas, comme il aura pris une douche avant, tu le sentiras même pas" "mais tu plaisantes, ça le dérange absolument pas de se lever à 3 heures du matin, d'ailleurs c'est bien simple, c'est lui qui nous sort du lit le matin" "meuh non, il ne sera pas choqué si tu mets un coup de taser dans la tronche d'un délinquant de 12 ans. Ah, parce que ça t'arrive assez souvent ? 3 fois par jour ? Ecoute, je te rappelle" " mais non, ma loute, observer le plus vieux métier du monde, mais c'est une chance incroyable !!!"
Bon, d'accord, j'exagère, mais à peine.
Parce que c'est statistique, sur l'ensemble des collégiens, seul 15 % a cherché son stage tout seul comme un grand. et sur ces 15%, 5 % a trouvé un stage qui le motivait réellement. Quand on sait ça, ça donne envie de les écouter les loustics, non ?
Mais je n'étais pas tout seul pour les juger, les loulous. Non, il y avait à mes cotés une professionnelle de la profession, une personne de terrain, une qui va nous en remontrer, à nous les planqués fonctionnaires. Sa spécialité: les salaires. Ouais, parce que c'était SA question quand on en était à la partie entretien. Et une fois sur deux, elle faisait chou blanc. Mais ne savait-elle pas, la bougre, que l'ado boutonneux est idéaliste, qu'il s'en tamponne le coquillard de la paie parce que, idéaliste comme je le disais, il pense, que dis-je, il sait qu'il gagnera plus ! Second acolyte, un haut placé dans l'administration de l'éduc nat', bien sapé, bien gominé, bien parfumé. Sa spécialité ? L'orientation. Et comme moi je suis une brêle dans ce domaine, ça m'a bien arrangé. Même si le mec était puant. Et ma spécialité ? ben, je sais pas, l'ennui ? Euh, non, ça faut pas le dire. La compassion ? même pas. Ah si, le mec puant, dans son infinie mansuétude, m'a trouvé un truc. Me jetant un regard du sommet de son alpinissime fonction, il me demande, la lèvre lippue de mépris: "vous êtes prof de français, vous? (vous avez noté l'usage du second vous ? moi aussi ...). Et bien, attachez-vous à corriger leurs fautes de syntaxe !"
Que répondre à ça ? "Bien, m'dame Scarlett !"? ah, et puis cette conception clichesque du français grammaire-orthographe-et-pourtant-mon-enfant-lit, c'est usant. Mais il est huit heures du mat', j'ai pas envie de partir dans un débat avec mec puant, je prends un air entendu et je hoche la tête.
commença alors le long défilé des élèves.
premier prototype, le stressé brillant. il a récité une quarantaine de fois son petit speech( devant la glace, de dos, avec les mains, sans les mains, à cloche pied, en faisant le poirier et la macarena), il a bien mis le petit C dans le grand A, il s'est levé à 3 heures du matin pour prendre 4 fois une douche (dont une à la Bétadine, on sait jamais), il a mis son petit polo Ralph Lauren et à peine entré, la mécanique est en route: discours appris au rasoir, mais récité naturellement, une avalanche de documents pertinents et bien conçus. Bref, le champion. Il court pour son 18, et sans surprise, il a son 18. Deux bémols, il n'a aucune idée de la paie (des idéalistes, vous dis-je !) et le mec puant le trouve "trop scolaire". Le mec puant, il est 8 Heures 10, et je sens déjà que je vais aller crever ses pneus.
second prototype, le j'men foutiste. Vous l'avez compris, l'exact opposé du précédent. Il se pointe avec 10 minutes de retard, ne retire pas sa veste (en gros, le message c'est "je pose pas, j'ai plein de trucs à faire, là"), puant la clope à plein nez. Quand au milieu de l'exposé, on lui fait remarquer qu'en retirant son écharpe grimpant jusqu'au sourcil droit, la probabilité pour qu'on entende ce qu'il nous baragouine se trouvera sans doute considérablement augmentée, il pousse un long soupir (l'art du soupir exaspéré chez l'adolescent, tout un programme) et consent à se dévêtir un peu. Point de documents, le j'men foutiste se sent une fibre écolo. D'ailleurs, le j'men foutiste n'est pas consumériste pour deux sous, il est assez économe. Surtout dans ses réponses. Oui/ Non, c'est largement suffisant !
" Et le stage, vous l'avez trouvé comment ?
- oui.
-Euh, et concernant les salaires, vous vous êtes renseigné ? Les gens qui font ça gagnent combien ?
- oui.
- Concernant l'orientation, vous vous dirigez davantage vers un Bac pro ou un Dut ?
-oui.
-et ma main dans ta gueule ?
- oui"

entre ces deux prototypes fluctuent différents élèves. et parfois une surprise, une pépite. Elle rentre, la longue mèche blonde tombant sur l'oeil gauche. Elle ne nous a pas encore dit bonjour qu'elle l'a déjà relevée 5 fois. Elle est habillée façon LOL, et je me dis qu'on a à faire à une caricature d'ado, une de plus. et là, elle commence. C'est intelligent, pas appris, spontané et brillant. sa flamme dans les yeux ne trompe pas : elle s'est battue pour obtenir son stage, a pris du plaisir à le faire, a eu des déconvenues et des réussites. Elle a un regard aiguisé sur ce qu'elle veut exactement faire aujourd'hui, sur les sacrifices que ça représentera, mais également sur les bonheurs qui l'attendent. Elle nous porte pendant 15 minutes que l'on ne voit pas passer. Quand elle sort, le mec puant, ne fait aucune remarque, l'autre a oublié de poser sa question sur les salaires et une interrogation vient trouer le silence : "on a le droit de mettre 20 ?"
Juste après, c'est Nono qui passe. Le destin s'amuse (et le destin a cette fois pris les traits d'un principal adjoint farceur qui a fait les listes): Nono est gentil. Nono a de gros problèmes d'élocution. On a déjà du dire à Nono qu'il ne fallait pas enfoncer davantage le coton tige quand on sentait une résistance. Et Nono commence. Et moi de me mordre la lèvre en glissant un regard en biais en direction de mec puant, médusé et gueule ouverte. Nous examinons son rapport écrit de stage pendant que Nono, qui a fait son stage chez Ikea, nous explique qu'il aime bien les poules mais qu'il est allergique aux lapins (ben quoi ? dans le questionnaire préparatoire, il est écrit " ce que vous avez aimé ? ce que vous avez moins aimé? " Nono, il fait que répondre à la question). Le rapport est fourni en photos. Nono les a prises lui-même. il les a légendées aussi. On a donc droit à " le dernier lit Ikéa/ Moi dans le dernier lit ikea/ La chaise Ikéa/ Moi dans la chaise Ikéa. La lampe Ikéa/ moi allumant la lampe Ikea/ Moi éteignant la lampe Ikéa..." et ainsi de suite. Comme l'impression de feuilleter un album de vacances. Je vous passe la partie entretien ...
comme ça pendant 8 heures. et idem le lendemain.
Au bout du deuxième jour, je pense à eux:



C'est pire, ils sont filmés en plus !

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